« Dieu bénisse le Canada »

Il y quelques semaines, j’entendais le premier ministre du Canada terminer son discours par un « Dieu bénisse le Canada », formule commune à nos voisins du sud (remplacer Canada par United States), mais relativement peu utilisée dans notre pays. Suite aux efforts déployés en 2013 au Québec pour affirmer dans une loi la laïcité de l’État, ce genre de déclaration fait frémir. Voici pourquoi.

Tout d’abord, il convient de mentionner que j’ai soumis l’an dernier un mémoire à la Commission des institutions dans le cadre de ce fameux projet de loi 60 (Charte affirmant les valeurs de laïcité…), ce qui m’a permis d’organiser certaines idées par rapport à la laïcité de l’État. Ce mémoire, en plus de commenter sur le bien-fondé des articles de loi proposés, soulevait une question qui, à mon avis, n’avait pas été suffisamment exprimée dans le projet de loi: l’objectivité et la rationalité de l’État.
Voici un extrait du mémoire à ce sujet:

L’auteur est d’avis que l’objectivité et la rationalité de l’État sont des éléments essentiels qui devraient être rappelés dans une loi affirmant la laïcité et la neutralité religieuse de l’État. Sur ce point, les États laïques diffèrent souvent des religions de façon significative. Nous parlons ici d’une conception de la réalité et de la façon de penser à propos de cette réalité. L’histoire sacrée et l’orthodoxie associée à certaines religions demandent d’accepter d’emblée, en l’absence d’évidence, certaines vérités concernant la réalité dans laquelle nous vivons. Ces vérités sont souvent des éléments irrationnels, parfois réputés d’origine divine, qu’on ne peut expliquer par la raison. 

Il arrive que ces vérités se heurtent aux théories modernes et acceptées de la science et de l’histoire, ce qui donne lieu à des débats intéressants, non seulement parmi la population, mais aussi au niveau politique. Aux États‐Unis, plusieurs politiciens n’hésitent pas à soulever ce genre d’argument religieux dans les débats concernant ce qu’il convient de faire, ou ce qu’il convient d’enseigner dans les écoles : l’évolution versus le créationnisme, l’âge de la Terre (quelques milliers d’années ou quelques milliards ?), le réchauffement climatique (l’homme doit‐il s’en remettre à un dieu qui les protège pour régler ce problème ou doit‐il prendre l’initiative ?).

Il est extrêmement important que l’État et ses représentants ne dérapent pas dans l’interprétation de la réalité. L’État ne doit fonder ses interventions que sur une réalité scientifique, c’est à dire une réalité découlant de l’observation et de l’expérimentation, tout en faisant preuve aussi de compassion et d’un sens moral bénéfique pour la population. Cette réalité n’est pas absolue. Elle évoluera à mesure de l’évolution de nos connaissances. Bref, l’État doit être athée. Cela ne signifie pas que les personnes oeuvrant au sein de l’État doivent l’être. L’individu doit toujours demeurer libre de ses pensées et peut toujours exprimer ses croyances, mais pas lorsqu’il s’exprime au nom de l’État (ou qu’il semble s’exprimer au nom de l’État).

L’État laïque neutre, ni athée ni ne favorisant une religion en particulier, est impossible à gérer. C’est une tentative de protéger la chèvre et le chou, le crucifix et l’absence de symboles. L’État doit protéger (et baliser) la libre expression de tous, mais doit être absolument athée dans son fonctionnement et ses interventions. « Dieu bénisse le Canada » n’a aucune place dans un état laïque.

J’irais même plus loin. Dans un monde où les jeunes sont parfois attirés par des discours religieux intégristes, avec des conséquences parfois néfastes, il est dangereux pour les états dit laïques, d’une part de laisser poindre leur accord tacite pour certaines interprétations religieuses de la réalité (la marque d’un état « neutre »), et d’autre part de pourfendre d’autres interprétations jugées inacceptables. Dans les deux cas, il n’existe aucun fondement rationnel pour l’interprétation en question. Préférer une interprétation à l’autre (Qui dit vrai?) devient un débat religieux. Cautionner une interprétation irrationnelle de la réalité, même bénigne en regard des conséquences, ouvre donc la porte à toutes sortes d’interprétations, dont certaines peuvent résulter en des problèmes graves dans la société. Au contraire, l’État devrait activement promouvoir une interprétation de la réalité fondée sur des critères rationnels et scientifiques (via l’éducation, des campagnes publicitaires, etc.), quitte à parfois s’attirer les foudres de certaines autorités religieuses. Ceci ne constitue pas un manque de respect envers les individus, qui peuvent toujours continuer de promouvoir leurs idées en toute liberté, mais qui ne devraient pas s’offusquer devant l’expression d’idées différentes par l’État.